Cet article est peut être le début d’autres témoignages à venir. J’avoue que plus le temps passant, plus je laisse les souvenirs s’effriter sur cette période qui était certainement la plus douloureuse de ma vie
Ce n’est que très récemment que je me suis penchée sur mon adolescence. Un peu par hasard. Dans ma guérison personnelle, j’avais toujours repoussé ce moment car la souffrance qui y stagnait, m’empêchait d’y retourner sereinement. Dernièrement, je suis tombée sur un journal intime que j’avais commencé à écrire en 2003, soit quand j’avais 16 ans. Il m’a suivi dans plusieurs déménagements alors pourtant que je m’étais jurée de le jeter. Parce que je savais que ce qu’il contenait était authentiquement moi dans la gamme de toutes mes faiblesses et que c’était évidemment très dur pour moi de m’y confronter. De temps à autre tout de même, il m’arrivait de l’ouvrir pour en lire quelques pages et le refermer presque aussi vite. Pour l’oublier à nouveau pendant plusieurs mois.
Je l’ai repris en mains dernièrement car je savais qu’il pourrait justement m’aider à me guérir. Aussi parce qu’avec plus de dix ans de vie supplémentaire, j’ai une autre vision des choses. Et je me suis surprise à lire une personne lucide. Une jeune personne qui ne se sentait aucunement à sa place, qui parle de conventions sociales qui ne lui correspondent pas, qui ne se comprend pas émotionnellement, qui ne sait pas quoi faire de son hypersensibilité mais une chose est sure, elle souffre énormément. Elle souffre de ne pas avoir accès à une vie sentimentale comme les autres, elle souffre de ne rien comprendre au social, elle souffre du genre humain et de son esprit cupide et égoïste. Elle ne comprend pas non plus qu’on ne la laisse pas faire ce qu’elle a envie, elle qui ne demande rien que la tranquillité d’esprit. Déjà, elle n’a qu’une idée en tête, comprendre cette foutue société et l’aider à aller mieux. Je subis l’école comme une prison attendant que le temps passe… Durement, longuement (ce fut longtemps mon seul cauchemar récurrent dans mon sommeil, celui de retourner au lycée et subir à nouveau des matières sans intérêt dans lesquelles je ne m’en sortais pas). Sur le moment, je suis choquée, car à l’époque, je ne savais pas que j’étais HP et le livre est presque un plaidoyer à lui tout seul de ce profil.
Et au fil de la lecture, je m’attriste de voir aussi que j’avais tendance à consommer beaucoup d’alcool pour rendre ma vie plus supportable à seulement 17 ans. Pour éteindre ma souffrance et en réveiller une autre (j’aurai une prise de conscience violente par moi-même quand je verrai mes mains trembler par le manque. J’arrête alors du jour au lendemain complètement sous le choc).
Mais cette souffrance, elle commence bien plus tôt. Je me rappelle déjà à l’âge de 13 ans souffrir d’un manque de père. Le moment où on cherche un modèle. Dans ma famille, il n’y en a pas qui me satisfasse et je me sens comme une extraterrestre (sauf mon grand-père, HP aussi, qui sera quand même mon idole mais je le découvrirai que vers 18 ans quand il me décrira exactement ce que je vis à l’intérieur de moi-même et partira quelques mois plus tard). Je me sens incomprise totalement, avec d’un côté un manque d’amour par mon père (tout simplement car il n’est pas équipé pour savoir comment faire de par sa propre vie et son accès aux émotions) et ma mère qui au contraire, surcouve avec une vraie psychorigidité.
Donc à l’âge de 13 ans, je découvre le spectacle Notre Dame de Paris et particulièrement le rôle de Frollo (interprété par Daniel Lavoie encore et toujours) qui tout de suite me parle. J’en ai fait référence dans un article assez ancien (« ces méchants qui me fascinent »). Si Frollo m’inspire c’est parce que c’est l’homme de savoir mis à genoux par ses émotions. Dès lors, je dévore le personnage en plongeant dans le livre d’Hugo. Aujourd’hui, avec du recul, je me rends compte que Frollo a tout du bon Haut Potentiel touchant. A la fois c’est un vrai savant mais qui sort des sentiers battus et des conventions car il s’y ennuie très vite. Ce qui fait de lui un être original, confiant en ses capacités et loin d’être aimé de tous. Il devient un maître dans presque toutes les disciplines possibles et est consulté de tout Paris. Sous des aspects très psychorigides, c’est pourtant un homme de cœur profond puisqu’il adopte Quasimodo lourdement handicapé lui apprenant à lire et à écrire. Il devient chef de famille à 18 ans suite à la mort de ses parents, lui laissant un nourrisson sur les bras, son jeune frère qui est son opposé même (débauché, frivole et irresponsable) mais à qui il ne sait rien refuser. Le personnage devient très vite un modèle de rigueur et d’exigence pour moi. A l’époque, je ne sais pas pourquoi je l’aime autant mais après réflexion certainement car il se perd en lui et se laisse envahir dramatiquement par la force de ses sentiments. Sentant qu’il perd complètement le contrôle et savourant cette sensation en même temps (la fameuse fatalité). Le côté tragique du Haut Potentiel brillant qui s’avoue vaincu devant ses émotions dont il ne sait quoi faire. Et avec son hypersensibilité à passer d’un excès à un autre (la privation totale vers un émotionnel dévorant). Le romantisme du personnage provenant certainement de ce dilemme intérieur, entre la raison du mental et l’irrationalité du cœur où il se laisse aller complètement à nu entre fascination pour ce qu’il ressent et la honte de ses émotions.
Je décide donc d’entrer dans son modèle, plongeant dans les virages du mental qui veut expliquer tout. Poussé par une quête de savoir qui était de toute façon déjà mon credo mais y plongeant sans plus me sentir coupable. A 17 ans, toujours fascinée par le personnage, je me jure moi aussi d’être un jour maître. Ce que je ferai d’ailleurs 8 ans plus tard en passant ma maîtrise universitaire de sciences humaines. Avec l’amertume cependant de voir que celle-ci n’aboutira à rien et me laissant un goût d’échec. Je décide alors de faire un virage à 180° qui aujourd’hui me réussit totalement. Qui m’a demandé de travailler sur moi jour et nuit et d’abattre toutes mes peurs, incertitudes et schémas limitants qui m’enfermaient dans ma psychorigidité accédant enfin au lâcher prise et à la joie de vivre.
Finalement, la seule facette de moi que je n’avais toujours pas osée toucher c’était mon adolescence me laissant sans aucune confiance en moi et en les autres. La souffrance de la différence, du rejet et comme seule échappatoire Frollo pour me dire que lui aussi n’était pas aimé mais respecté pour son savoir et admiré, et que moi aussi j’irai à cela.
Biensûr, en sortant du lycée, la dureté de la vie c’était déjà très fortement allégée et mon engouement pour Frollo avait bien diminué. Et quand j’ai été cherché mon diplôme universitaire, je m’étais dit que j’étais certainement arrivée à sa hauteur. Mais ces derniers mois, la réussite a vraiment été au rendez-vous pour moi avec une vraie reconnaissance de mes pairs alors que, selon leurs dires « vous êtes si jeune ». (Cette réflexion je l’ai entendue souvent et elle me surprend toujours autant à chaque fois. Je me rappelle jamais avoir été une enfant… J’ai l’impression de porter bien plus que mon âge)
Je n’avais pas alors réalisé le parcours intense que j’avais mené sur moi depuis 15 ans ! Pour ma libération personnelle mais aussi celle de mes aïeux qui m’avaient légués avec bienveillance beaucoup de poids et de charges limitantes dans leur éducation. Et par tout ce travail acharné, aujourd’hui, je suis le guide de beaucoup de personnes pour les aider à être eux-mêmes sans peur de leurs différences et à ressentir la fierté d’être ce qu’ils sont, pour se donner l’amour qu’ils méritent. Et cette envie de témoigner pour me dire que toute cette souffrance doit être utile pour les autres, pour partager et pour se sentir moins seul.
Ainsi le 3 novembre 2017 à 20h30, je me retrouve au Zénith de Lille pour assister à la reprise de Notre Dame de Paris. J’avais réservé ces places un an à l’avance ! A côté de moi ma filleule qui connaît un peu toute cette histoire personnelle. En arrivant dans la salle, je suis surprise car les places sont idéalement situées de manière qu’à la fin du spectacle, j’ai cette chance inouïe d’avoir Daniel Lavoie juste devant moi, le seul personnage à avoir repris son rôle en 2017. L’émotion est immense, je me rends compte que c’est l’ado qui refait surface, celle qui avait des émotions et des sentiments, qui malgré la dureté de la vie, avait décidé de vivre les choses à 100%. Au moment des saluts, il dit « bravo » en face de moi à tout le public. Alors l’émotion monte et les larmes coulent. J’ai compris qu’enfin je pouvais m’arrêter de travailler sur moi aussi intensément et que j’avais réussi mon pari: celui à 15 ans de m’en sortir et d’arriver à vivre épanouie dans cette société et heureuse. Je m’entends penser « j’ai réussi » presque incrédule. Parce que ça faisait tellement longtemps que j’essayais de me prouver des choses et que je cherchais à obtenir de la reconnaissance. Parce que je n’ai pas toujours été soutenue dans mes choix par ma famille, que j’ai dû me battre seule. Que j’ai eu la chance d’avoir les amis qu’il fallait, d’être accompagnée par ma Foi en l’Univers. Et je réalise qu’un cycle dans ma vie se termine, j’y suis arrivée. Je peux lâcher prise, je sais que je n’ai plus rien à me prouver. Je sens alors la souffrance refoulée de cette ado qui a fait ces choix dans sa détresse remonter pour être en paix. Sur le moment, je ne peux malheureusement pas me laisser aller à évacuer cela. Une tornade m’envahit, je ne me souviens jamais d’avoir été émue en public et surtout de le laisser apparaître.
Quand je reviens chez moi, je décide d’écrire dans mon livre de 2003 cet épisode qui fait que la boucle est bouclée et je ressens l’émotion se présenter à moi à nouveau.
Je vais alors dans mon cabinet à côté de mon bureau (ma pièce de délivrance) et je m’assois, les larmes affluent mais c’est de la joie. Ensuite arrive la souffrance enfermée qui se libère et je sens que je souffre terriblement, je me tords les mains, je gémis. Je comprends que mon choix était celui de continuer de vivre par tous les moyens là où certains n’auraient pas cherché plus loin… C’est d’ailleurs ce que j’aimais chez Frollo, c’est qu’il préférait se torturer avec ses émotions plutôt que se donner la mort. Je me suis torturée moi aussi longtemps, m’infligeant des souffrances pour me faire payer de ne pas être comme tout le monde. Pensant que l’amour était pour les autres et que je ne le méritais pas. Le repoussant ou le sabotant quand il se présentait à moi.
Quand les pleurs se finissent, je me souhaite la paix intérieure, je me souhaite au moins 15 ans de bonheur. Je me sens fatiguée mais c’est avec un grand soulagement. Je souris. Merci la Vie. Merci à Moi, de ne jamais avoir abandonné. Merci à l’Univers pour cette maison que j’ai avec un beau jardin, cet argent que je gagne par moi-même avec ma propre société pour laquelle je me suis battue, merci à tous mes amis extraordinairement fous et décalés qui m’aiment sincèrement autant que je les aime. Merci à toutes les petites choses de la vie.
Dans cet élan de gratitude, je vois apparaître mentalement devant moi celle que j’étais à 16 ans, à laquelle je n’arrivais pas à me relier tellement elle me repoussait de souffrance et de marginalité. Celle qui aimait des sujets restreints, qui préférait les conversations des hommes à celle des femmes, cette geek en quête de solitude assumée vivant recluse dans l’obscurité d’elle-même. Cette partie de moi autant morte que vivante. Je me rends compte que c’était en fait elle qui me portait depuis toujours. Alors je lui parle et je lui demande pardon de l’avoir rejetée. Je lui dis que je ne serais rien sans sa force mentale, sans son envie de croire qu’il y aura forcément quelque chose de mieux et sa façon de penser qui se disait que tant qu’elle pourra apprendre de nouvelles choses, la vie n’est pas vaine (et encore moins quand on peut le transmettre). Je lui dois tout et enfin je lui redonne une place juste. Je sens l’apaisement en moi. Enfin, c’est bon, je m’aime complètement.
Alors, par curiosité, je me suis amusée à relire les passages du livre d’Hugo pour redécouvrir Frollo aujourd’hui. J’ai toujours beaucoup d’affection pour lui, pour ses faiblesses. On ne peut pas rester insensible à sa sincérité déchirante. Et je me reconnais toujours en lui pour la franchise qu’il a pour les autres et envers lui-même, ne cachant rien et l’exposant avec ardeur aux autres. Mais surtout je pense à celui qui l’a crée, au génie de Hugo. Je pense que Frollo devait être une partie de lui car on ne peut pas imaginer un personnage aussi profond sans avoir un peu vécu ses émotions.
En prenant du recul, je me dis que c’est aussi ridicule que c’est beau. De savoir que c’est l’existence à la fois d’un personnage de roman complexe et Daniel Lavoie qui l’a incarné qui m’ont permis de trouver du sens à ma vie pendant une période mais c’est ainsi. Ridicule car certainement ça renvoie à une partie de moi vulnérable. Si je suivais toujours son actualité de plus ou moins près, je suis très loin de la fan que j’étais quand j’avais 16 ans parce que je n’ai plus besoin de modèle depuis longtemps. Mais je trouve tout de même cela terriblement insignifiant et injuste que lui ne le saura certainement jamais. Peut être que savoir qu’il a fait du bien à quelqu’un pendant autant d’années pourrait lui aussi lui apporter de la joie (comme moi quand je sais qu’un client a trouvé le bonheur ou l’accomplissement suite à une séance avec moi). Finalement, certainement ce que je trouve le plus magique aujourd’hui dans la Vie. Son existence et le fait qu’il se soit accompli dans un métier qu’il aimait m’a permis de tenir le coup (ben oui, il n’a rien fait d’autre que d’être lui-même au final). Aussi simplement que ça, on peut faire du bien aux autres juste parce qu’on a décidé d’être authentiquement soi. Sans intention particulière. Juste celle d’exister et d’être aligné avec soi même dans sa vérité personnelle.
Bref merci la Vie!
Alors je me pose la question, suis-je la seule ? Y’a-t-il parmi vous des témoignages similaires avec d’autres personnes ? Est-ce que c’est bizarre à vos yeux ?
Pour ceux qui seraient intéressés sur le retour du spectacle lui-même, je vous le conseille vivement. Evidemment, je connaissais par coeur la version de 1998. Les voix sont peut être moins puissantes que le premier casting. La mise en scène plus moderne avec des changements harmonieux et d’autres parfois un peu moins. Je trouvais le rythme plus soutenu que dans la première version, ce qui m’a parfois un peu bousculé. Mais au delà de ça, la mise en scène est toujours aussi bluffante. Ce qui m’a émerveillé ce sont les superbes couleurs, on se laisse emporter dans un autre univers avec autant de beauté qu’en 98. Le jeu des acteurs est plus fort que dans la 1ère version et c’est nettement mieux! Ca nous permet de vivre intensément ce moment magique *-*
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